Lundi 26 février 2024, SMART JOB reçoit Delphine Goudchaux (consultante RH et marque employeur) et Frédérique Jeske (présidente, Senior4Good)
L'entreprise doit-elle avoir peur des seniors, ou peur de ne pas en avoir ?
Peut-on atteindre le plein emploi sans améliorer le taux d’emploi des populations seniors ? Alors que l’âgisme est encore très ancré dans le monde professionnel français, SMART JOB a réuni en plateau ceux qui tentent de faire bouger les lignes sur ce sujet.
Présidente de l’association Senior4Good, qui accompagne des travailleurs de plus de 50 ans en délicatesse avec le marché du travail, Frédérique Jeske nous partage une lettre qu’une de ses adhérentes a adressée à la nouvelle ministre du Travail, Catherine Vautrin. Elle y indique être souvent « dans les finalistes des processus de recrutement » auxquels elle participe, mais qu’à chaque fois, « on lui préfère des candidats plus jeunes. » Elle liste ses actions, entre envois de candidatures, accompagnements par France Travail, l’APEC, ou d’autres organismes ; sans oublier une utilisation poussée du réseau social LinkedIN. Mais rien n’y fait, donc « à quoi bon lutter ? » s’interroge-t-elle. Pour Frédérique Jeske, cette situation est « assez caractéristique des publics que l’on accompagne ». Parmi ces délaissés du monde de l’entreprise, on retrouve « même des gens avec des CV longs comme le bras, car le phénomène concerne aussi des cadres ».
« On aura tous un jour 50 ans »
En 2022, le taux d’emploi des seniors en France atteignait péniblement les 56,9 % selon les chiffres de la DARES, la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques. Pour la consultante RH et marque employeur Delphine Goudchaux, on touche là « à un vrai sujet de société ». Actuellement missionnée par France Travail sur un projet d’alternance pour les seniors, elle estime que sur le sujet « on est beaucoup dans la parole, mais extrêmement peu dans l’action ». Or, selon l’ancienne professionnelle du Sport Business, « on aura tous un jour 50 ans », et la question de l’emploi des seniors est par conséquent autant un sujet de « santé publique » et que de « finances publiques ». « Les personnes qui sont en poste ne mesurent pas à quel point les seniors qui n’ont pas d’emploi ou sont dans un placard vivent un désespoir absolu. Et en traitant ainsi les seniors, on décourage également les plus jeunes alors qu’il faut susciter des vocations. »
Pour Frédérique Jeske, il faut prendre le sujet de l’employabilité des seniors en amont. « Quel est l’accès aux formations ? Quel est le taux de ruptures de contrat à l’initiative de l’employeur ? ». Ce faible attachement aux salariés de plus de 50 ans est une erreur stratégique, selon Delphine Goudchaux. « Si vous avez des seniors dans votre boîte, vous avez une partie de vos équipes qui correspond au profil de votre clientèle. Vous avez aussi une complémentarité des profils dans vos équipes… » Une diversité d’âge qui, selon elle, aurait fait du bien à la French Tech : « la complémentarité intergénérationnelle, c’est une solution ». Et ce peut-être aussi une manière de limiter les coûts de recrutement : « dans un marché dans lequel la mobilité est en hausse, faire confiance à une personne un peu plus senior, plus encline à la stabilité, cela peut être une bonne option. »
« On a pris la mauvaise habitude d’associer séniorité et préretraite »
Mais les recruteurs peuvent se sentir effrayés par les niveaux de rémunération. « La problématique du salaire est globalement un cliché » souligne Frédérique Jeske, s’appuyant sur une étude de l’APEC qui évalue le salaire médian des plus de 55 ans au même niveau que celui des catégories d’âge inférieur. « Et même si on parle d’un salaire plus élevé, regardons la valeur qui est en face. Quelle est l’expérience ? Quelles sont les compétences ? Qu’est-ce que la personne peut apporter ? » Pour la présidente de Senior4Good, « il n’y a rien de rationnel et cohérent derrière le problème de regard que l’on porte sur l’âge dans notre société. On a pris la mauvaise habitude en France d’associer séniorité et préretraite. On a trop pensé à accompagner nos salariés seniors vers la retraite alors qu’il faut les accompagner surtout sur une adaptation de leur aventure professionnelle. »
Assez paradoxalement, dans les plus hautes sphères des grosses entreprises, l’âgisme ne semble pas avoir prise. Ce qui donne envie à Delphine Goudchaux d’inciter les grands patrons à montrer la voie. « Quand je vois des dirigeants de conseil d’administration qui ont largement dépassé l’âge légal de départ à la retraite et qui demandent à leurs administrateurs de repousser encore la date de leur départ, j’ai envie de leur dire d’être cohérents et de recruter des seniors dans leurs équipes. »
